Être postmoderne by Michel Maffesoli

Auteur:Michel Maffesoli [Maffesoli, Michel]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782204126373
Éditeur: Editions du Cerf
Publié: 2018-01-04T05:00:00+00:00

7.

Tradition

Plus d'un a pudeur d'aller à la source.

HÖLDERLIN.

La familiaritas propre à l'idéal communautaire, voilà qui conforte la démarche initiatique, voilà, également, qui s'enracine profond dans la tradition. Celle-ci, certes, est une limite, mais une limite fécondante. On peut, à cet égard, extrapoler la formule de Gide : « l'art naît de contraintes, vit de luttes et meurt de libertés. »

Pensée roborative qui tranche par rapport à une bienpensance on ne peut plus lénifiante, et surtout qui exprime bien le radicalisme, c'est-à-dire la recherche des racines propre à l'ancestrale sagesse populaire. En effet, c'est en oubliant le sens-commun (issu de tous les sens et du sentiment de tous) que l'on aboutit à la « rumeur commune », autre manière de dire l'opinion commune, celle du café du commerce équivalente, sur bien des points à la doxa de l'opinion savante.

Ainsi, à l'encontre de la pseudo-taxinomie soi-disant « scientifique » propre aux « sciences incertaines » (Charles Fourier), pour être en phase avec le radicalisme que je viens de citer, il faut savoir être un observateur inflexible dont l'idée centrale, et quelque peu lancinante consiste à dire : « je ne professe pas, je dis. »

Je dis que la Modernité a fait son temps. Une époque s'achève, une parenthèse se ferme. C'est bien ce que l'observation des tribus, de l'initiation, du sacral, de l'empathie, du retour du mythe du puer aeternus et de la prévalence du présent nous force à dire. Et pour comprendre l'époque, la parenthèse en train de s'ouvrir, il faut, justement, sans présupposés théoriques, repérer les racines de l'être-ensemble, prenant très précisément la forme d'un retour à la tradition.

C'est ce qu'à sa manière, on ne peut plus prophétique, Walter Benjamin nommait le « temps d'à présent{90} » (Jetztzeit). Qu'est-ce à dire, sinon ce que j'ai nommé l'« instant éternel » ? Comme ce fut le cas en d'autres périodes historiques, et non des moindres en termes de création culturelle – ainsi la Renaissance –, l'énergie, que celle-ci soit individuelle ou collective, n'est plus obnubilée par la recherche d'une société parfaite à venir, mais se focalise sur le hic et nunc, ici et maintenant.

En bref, énergie tendue dans ce monde-ci. D'où l'intensité du sentiment d'appartenance tribale, la reviviscence du sentiment d'appartenance naturelle, l'importance du sentiment d'appartenance à une corporéité individuelle et collective. Il s'agit là d'une inversion de polarité – du vers au dans –, qui peut nous autoriser à parler d'un messianisme incarné ! Incarnation, on l'aura compris, se ressourçant au moment originel de l'ordre des choses.

C'est d'ailleurs ainsi qu'Anselme de Cantorbery montrait que le prophète, celui qui sait « parler devant » (προ φεμι) le peuple, pouvait voir le passé et l'avenir sous la forme du présent{91}. Heureuse conjonction des trois moments de la temporalité : passé, présent, avenir, qu'il est fréquent de dissocier alors que leur complémentarité saute aux yeux quand on observe l'art, l'architecture, la musique et surtout, la pensée qui ne saurait être ce qu'elle est, sans des racines permettant sa croissance. Ce sont bien les racines qui permettent que la germination s'exhausse en efflorescence.

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